Culture

Bienvenue dans le Mile End : un quartier aux multiples identités

Publié mer, 31 Jan 2018 11:42:05 -0500, par La Rédaction, dans Lifestyle

Les enseignes du Mile End dessinent un parcours hors des frontières canadiennes et contemporaines. En distillant son charme sur le Plateau Mont-Royal, ce quartier demeure le chouchou des Montréalais et reste de façon anecdotique, le point de chute des nouveaux arrivants européens au fil du siècle dernier.

Imaginez 100 ans auparavant les carrières de pierre, la ferme familiale du Docteur Beaubien et les manufactures qui enfument le Cloître des Carmelites! Pour identifier ce qui a marqué Ville Saint-Louis, alias le Mile End, il est intéressant de se pencher sur son activité industrielle de jadis. Quelques clins d’oeil architecturaux soulignent d’ailleurs la mentalité des bâtisseurs qui ont modelé l’espace selon leurs croyances et leurs cultures.

nettoyeur grec

La première moitié du XXe siècle fut une période faste pour les communautés qui composent actuellement le Mile End. Introduits dans le monde du travail par leurs pairs, ouvriers et ouvrières juifs, Italiens et Irlandais ont continué à façonner le paysage manufacturier du textile. À ce jour, leurs descendants arborent un savoir-faire tout en ayant conservé une touche de leurs origines.

Focus sur le parcours du Mile End qui s’est forgé une réputation honorable en un battement d’aile avec son patrimoine distinctif, ses cafés bruyants, ses saveurs outre-atlantique ainsi qu’une mosaïque de cuisines nous remémorant l’espoir des immigrants.

Panorama Mile end

Retour sur les lieux cultes

La recette originale du Spécial Wilensky®, c’est une histoire de famille! Depuis 1932, ce nom résonne sur l’Avenue Fairmount comme un écho. Anciennement barbiers et vendeurs de cigares, les aïeux de Sharon (ci-dessous) laissent une trace dans l’univers du casse-croûte au pain moutardé et non coupé. Assis en face des cuistots sur les tabourets de comptoir, on savoure le chien chaud à seulement 2,22$ en contemplant les menus désuets. Cette atmosphère authentique a attiré l’attention du cinéma avec L’apprentissage de Duddy Kravitz et un tournage documentaire sur les sandwichs légendaires, qui n’ont jamais disparu de la carte.

Wilensky sandwich

La boulangerie chez Cheskie’s de l’ex New-Yorkais Cheskie Lebowitz attire autant la communauté hassidique que les Montréalais de tout horizon. Pris d’assaut dès le vendredi matin, les fameux rugelachs en forme de croissant et aux goûts variés (cannelle, chocolat, vanille) se font attendre. Placées comme dans un écrin de verre, on admire la pléthore de pâtisseries cashers: donuts à la crème, truffes aux rhum, cheesecakes marbrés et biscuits bariolés. Plaisir et calories garantis!

Cheskie'specialities

Dans la même mouvance, le célèbre anneau de pain bouilli, agrémenté de sésame ou de pavot demeure l’article emblématique du quartier. Impossible de passer à côté sans s’arrêter, surtout quand on sait que les bagels sortent tout juste du four monumental. Sa recette classique nous est arrivée avec les juifs ashkénazes d’Europe de l’est. Aujourd’hui, on a le choix entre les deux maisons, Saint-Viateur Bagel et Faimount Bagel, qui se partagent le succès de cette douceur dense et croustillante.

Bagel house

Dans les lieux rassembleurs, on aime le Café Olimpico fondé par le leader communautaire Rocco Furfaro. À la fois commanditaire d’une équipe de soccer et initiateur de la fête populaire de la San Marziale, cet immigrant italien partage avec sa femme, Pina, l’ouverture du café. C’est autour des souvenirs évoqués par leur fille Victoria (ci-dessous avec son équipe), que l’ambiance de jadis refait surface: les hommes jouant au billard, la distribution gratuite de spaghettis les premiers dimanches de juillet et la collection de santons du papa.

Café Olimpico

En terrasse, on peut admirer le style byzantin de l’Église Saint-Michael the Archangel qui rivalise de charisme avec l’architecture européenne. Bâtie initialement en 1915 pour la paroisse irlandaise catholique, la plus inimitable des églises montréalaises a pu voir le jour grâce aux salaires des fidèles de l’époque. À contempler intra et extra muros

À quelques pas, le logo sur le mur en brique du Café Club Social annonce la couleur. Au 180 Saint-Viateur ouest, on suit, on vit, on respire le sport ! Ici, pas d’ordinateur, on jase face à face sous le regard bienveillant du patron. Dans le brouhaha environnant, le latté se déguste et s’il arrive qu’un band joue en live, amenez votre gang au complet!

Mythos Ouzeri Estiatorio fait son entrée dans l’arène gastronomique en 1995 sous la houlette de Dimitri Galanis, venu de la région du Péloponnèse. Cet établissement aux allures de taverne grecque, réussi avec brio le Lavraki apo ellada (loup de mer) et l’Arnaki galactos (agneau cuit à l’ancienne). Devant son assiette, on apprécie le décor rétro inspiré des origines du propriétaire, et où officie désormais la nouvelle génération familiale qui a repris le flambeau.

Malgré son nom, Le Nouveau Palais est un doyen de la rue Bernard ouest. Ouvert en 1950, le restaurant de Jacques Séguin et Mary-Martha Campbell entretient l’esprit du diner américain. À chaque séjour, le spätzle et le chimichurri du chef réjouissent notre palais. Ne pas passer à côté du brunch nord-américain de la fin de semaine, assis sur les banquettes intimistes faisant face à la taxidermie décalée.

Nouveau Palais Restaurant

Les délices d’Arahova Souvlaki régale aussi les affamés depuis 1971. Encore aujourd’hui, le fils du fondateur Nick Noukroumanis, demeure aux commandea du restaurant et n’a pas fini de servir ses assiettes de gyro au poulet ou ses spanakopitas à consommer sur le pouce ou à emporter. Entre les hors-d’oeuvres typiques et les snacks, il ne faut pas se laisser surprendre par la diversité du menu. Aussi, on va facilement laisser notre regard naviguer sur les murs bigarrés qui font hommage au folklore grec.

Arahova

Pour une digestion optimale, remontons l’Avenue du Parc et faisons une pause devant le Bovril. De style art moderne, la solidité de cette bâtisse est hérité de sa fonction première: la fabrication de bouillon de bœuf. Les drains et les rails au plafond témoignent de cette époque où les carcasses circulaient avant de disparaître. En 2013, l’organisme à but non lucratif Ateliers créatifs Montréal emménage sur les trois étages supérieurs et permet aux artistes professionnels d’accéder aux locaux à un coût abordable et d’inscrire leurs projets dans la pérennité.

Édifice Bovril

Les destinations qui s’imposent

Derrière le sourire et le regard pétillant de Nelly, il y a surtout la maîtrise de la gastronomie mexicaine. C’est dans une atmosphère chargée de symboles chrétiens et kitschissimes que La Tamalera a développé depuis cinq ans ses autojitos (snacks) et tamales (pains de maïs fourré) qui caractérisent si bien la nourriture populaire du pays. Une fois dans la bouche, la messe est dite. Pour une belle table fleurie et un moment épicé, on dit Amen!

La Tamalera

La signature de chez Fabrizia (ci-dessous), ce sont les gnocchis et les pâtes fraîches préparés sous nos yeux. Le petit comptoir est orienté végé mais quelques viandes s’invitent à la carte. Comme à la maison, les livres de cuisine trônent sur l’étagère avec des portraits noir & blanc cloués au mur. On se laisse séduire par les conserves de légumes marinés et les marmelades de piments à emporter. Également, la vitrine du Phyllo-bar Mélina’s nous en apprend plus sur la fameuse pâte fine originaire de Grèce. Ses quatre recettes de friands démasquent les petites gâteries méditerranéennes aux farces abondantes.

Fabrizia

Entre ces deux adresses ensoleillées, on en profite pour s’émerveiller devant la façade baroque du Théâtre Rialto qu’Ezio Carosielli s’est donné l’ambition de pérenniser depuis 2009. Sa majesté rappelle celle de l’Opéra Garnier de Paris. Inaugurée en 1924, la salle principale parfaitement conservée accueille une belle scène alimentée par un calendrier qui en impose: souper-spectacles, stand-up humoristiques et hommages musicaux…

Théâtre Rialto

Julian et Nathanial ont grandi dans le même creuset. En 2017, ils décident de jouer les prolongations en se lançant dans l’aventure caribéenne du Lloydie’s. Les deux compères réintroduisent en version restauration rapide et gourmet la marque de pâté Caribec, fondée par le père de Nathanial en 1987. Les plats à base de plantains frits, de queue de boeuf et de sauce Jerk honorent la cuisine antillaise – une invitation au charme barbadien et au plaisir des yeux avec une atmosphère color-block.

Lloydie's

On ne tarit pas d’éloges sur la carte généreuse de Chez Léo Snack Bar. C’est dans une ambiance familiale qu’on se délecte du Burger de Malade au boeuf et au canard confit, ou du Requin d’eau douce et sa galette de brochet frite. Le mur de photographies monochromes témoigne de l’attachement du propriétaire pour le quartier, Emmanuel, lequel vise à offrir au visiteur une cuisine 100% locale. Là-bas, on se régale de grignotines pendant que la marmaille s’amuse dans une cabane haut perchée.

Chez Leo Snack Bar

L’entrepôt Van Horne ponctue notre visite avant de pénétrer dans la Petite-Italie. On va facilement se laisser surprendre par sa forme atypique, sa façade quasi aveugle et sa citerne d’eau postée sur le toit. Le bâtiment de sept étages, tel que nous le connaissons aujourd’hui, servait à remiser les marchandises de la St. Lawrence Warehousing Company. Quelques acquéreurs plus tard, ce témoin industriel est suivi de près par les organismes de protection du patrimoine pour ne pas être transformé en un énième projet immobilier…

Entrepot Van Horne

Restaurateurs, artistes, artisans, résidents, tous vont défendre la bannière indépendante du Mile End, si convoité et surtout adopté par les touristes en quête de vêtements vintage ou de vinyles collectors. En luttant contre le déséquilibre social, cet ensemble a pu conserver ses institutions gastronomiques et ses nuances culturelles harmonieuses.

Un grand merci à Yves Desjardins, l’un des administrateurs de Mémoire du Mile-End, pour ses précieuses informations, à Anie Desrochers, pour la visite du Bovril, et particulièrement à Monsieur Lebowitz et à ses filles pour leur accueil.

Crédits photo : Diane Martin-Graser.



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